
TYPE DE SUPPORT : ARTICLE | CATÉGORIE : CHRONIQUES
AUTEUR : Patrick Bignon
DATE : 11 février 2025
Quel avenir pour les cabinet d’avocats « full service » ?
Bignon De Keyser partage dans « Insights » son analyse des tendances, des innovations, des nouveaux outils, des nouvelles offres de services et des idées originales susceptibles d’intéresser ses clients.
Notre nouvel Insights est consacré aux cabinets d’avocats « full service ». Nous nous interrogeons sur leur avenir dans le contexte d’un marché en pleine transformation.
- Leur proposition de valeur est-elle toujours aussi pertinente quel que soit le segment du marché dans lequel ils opèrent ?
- Quels sont leurs principaux « challenges » ?
- Quels sont les scénarios d’évolution possibles ?
Comme toujours, nous serions heureux de discuter de vos commentaires ou observations sur ce thème.
Nous restons à votre disposition et, bien sûr, nous serions heureux d’intégrer vos suggestions dans nos prochains « Insights ».
Sommaire
Quel avenir pour les cabinets d’avocats « full service » ?
- La place des cabinets d’avocats « full service » dans le marché juridique français
- La proposition de valeur des cabinets d’avocats « full service »
- Les « challenges » des cabinets d’avocats « full service »
- Leurs scénarios d’évolution possibles
- En guise de synthèse : leur avenir ?
La place des cabinets « full service » dans le marché juridique français
L’analyse de l’activité des 50 premiers cabinets indépendants français révèle que peu d’entre eux peuvent être considérés comme véritablement « full service ». En effet, si l’on exclut les cabinets spécialisés, transactionnels ou ceux ayant un champ d’expertise limité, le nombre de cabinets « full service » se réduit considérablement, surtout si l’on définit ce terme comme couvrant l’ensemble des domaines du droit des affaires.
Même parmi les cabinets multi-compétences, rares sont ceux à répondre pleinement à cette définition. Il en va de même pour les cabinets internationaux implantés à Paris : peu offrent une couverture complète du droit des affaires, et la tendance récente de certains cabinets américains est de concentrer leurs efforts sur un nombre restreint de pratiques jugées les plus rentables.
Le paysage juridique français a également vu l’émergence de nombreuses « boutiques » spécialisées dans un ou plusieurs domaines du droit, mais rarement dans une perspective « full service ». Cette prolifération de structures ciblées témoigne d’une dynamique de segmentation du marché, répondant à une demande croissante pour des expertises pointues.
Enfin, s’agissant de leur réputation, lorsqu’on examine le classement des cabinets d’avocats indépendants français « full service », si certains tirent leurs épingles du jeu mieux que d‘autres, on s’aperçoit que leurs pratiques transactionnelles / corporate ne rivalisent que rarement avec les leaders du marché même si certains de ces cabinets peuvent avoir à traiter des dossiers de place. Le dernier classement du top 40 des avocats du CAC 40 de Forbes mentionne seulement six avocats sur les 40 appartenant à deux cabinets indépendants français « full service », ce qui illustre leur difficulté à être présent auprès des grands comptes pour les dossiers importants.
De ces observations, nous pouvons tirer plusieurs enseignements :
1. Rareté des modèles « full service » : Si l’on s’en tient aux acteurs les plus importants du marché juridique français, les cabinets « full service » ne sont pas aussi nombreux qu’on aurait pu le penser. Nombreux sont en effet les cabinets qui concentrent leur « core business » sur un nombre d’expertises limitées ou de secteurs si possible très complémentaires.
2. Visibilité accrue grâce à la taille : Les cabinets les plus « full service » ont généralement une taille plus importante que celle des autres cabinets leur donnant de fait une plus grande visibilité.
3. Création de valeur à démontrer : Les cabinets qui continuent à être « full service » ont un facteur de différenciation manifeste, encore faut-il que leur approche « full service » soit créatrice de valeur, ce qui reste à démontrer.
4. Dimension internationale : La dimension internationale de certains cabinets accentue leur caractère « full service ».
5. Niveau de rémunération : La difficulté des cabinets indépendants français « full service » à générer des rémunérations identiques à celles des cabinets transactionnels ou des cabinets internationaux peut limiter leur capacité d’attraction aux meilleures équipes.
La proposition de valeur des cabinets d’avocats « full service »
Dans ce contexte, il est pertinent de s’interroger sur la proposition de valeur d’un cabinet d’avocats « full service » en essayant de mesurer son adéquation aux besoins du marché.
Généralement, les cabinets d’avocats « full service » font ressortir dans leur présentation au marché les spécificités suivantes :
- « une expertise reconnue dans tous les domaines du droit des affaires en France comme à l’étranger »,
- « les compétences de leurs équipes dans tous les domaines du droit des affaires, tant en conseil qu’en contentieux »,
- « un accompagnement en France et à l’international s’appuyant sur l’expertise de leurs équipes dans l’ensemble des domaines du droit des affaires »,
- « leur organisation qui favorise la transversalité nécessaire à la gestion de dossiers complexes et pluridisciplinaires ».
Plusieurs avantages sont mis en avant.
Une offre complète : les clients peuvent bénéficier sous la même marque de l’ensemble des services dont ils peuvent avoir besoin. Cet avantage reste pertinent, même si on sait que c’est une gageure de réussir à offrir la même excellence dans chacune de ses pratiques. Ceux qui y parviennent ont un vrai avantage.
Une capacité à traiter les problématiques complexes : En rassemblant plusieurs disciplines sous une même marque, les cabinets « full service » grâce à leur pluridisciplinarité peuvent traiter des dossiers complexes et multidimensionnels. Cet avantage est aujourd’hui encore plus pertinent dans la mesure où les problématiques complexes auxquelles sont confrontées les entreprises nécessitent encore plus qu’avant de recourir à de nombreuses spécialisations.
Une notoriété plus grande : cet avantage réside dans leur taille souvent importante qui leur permet d’avoir plus facilement une notoriété de marque pouvant rassurer et attirer les clients.
Une capacité d’innovation : c’est lié à la possibilité dans ce type de cabinet de collaborer entre différentes pratiques pour générer des idées nouvelles aux bénéfices des clients. Cet atout est aujourd’hui important à une époque où tout se banalise très vite et où la capacité d’innovation confère un avantage compétitif important.
Une diversification des revenus : ils peuvent diversifier leur source de chiffres d’affaires. La diversification réduit le risque financier en cas de crise économique affectant un domaine particulier du droit. Le contexte économique actuel donne de la force à cet argument.
Une fidélisation des clients : dernier avantage et non des moindres, un client peut trouver dans ce type de cabinet un accompagnement à différents stades de son évolution professionnelle, permettant ainsi au cabinet et à ses associés de créer des relations de longue durée et de confiance.
En résumé, les clients recourent à des cabinets d’avocats « full service » pour bénéficier d’une expertise diversifiée, d’une gestion simplifiée de leurs besoins juridiques, d’une relation de confiance continue, et une capacité d’innovation. Cela permet de gérer efficacement et de manière intégrée toutes les questions juridiques, qu’elles soient simples ou complexes, locales ou internationales.
Cette proposition de valeur attractive des cabinets d’avocats « full service » a plusieurs revers de la médaille qui peuvent néanmoins limiter les bénéfices de leur modèle.
Le manque de synergies : c’est la difficulté à faire travailler ensemble les associés des différents domaines de pratique, réduisant l’effet des synergies attendues. Notre cabinet constate trop souvent que les approches individuelles, en silo dans les mêmes activités sont légion et que les collaborations entre associés / pôles d’activités sont souvent très limitées.
La rigidité organisationnelle : la taille plus importante ce type de cabinets peut entraîner des difficultés à s’adapter avec agilité aux évolutions du marché et aux besoins des clients avec des processus de décisions parfois lourds.
Les disparités internes : il est très difficile d’avoir dans les cabinets « full service » toutes les activités avec un positionnement identique dans le marché et des profondeurs d’équipes suffisantes pour être crédibles. En pratique, il y a trop souvent des disparités révélées d’ailleurs par les différences dans les classements ; ces différences entravent de fait les synergies attendues du modèle « full service ».
Les coûts élevés : ces modèles peuvent générer des coûts de fonctionnement non négligeables qui se répercutent dans les honoraires facturés aux clients.
Outre les inconvénients susvisés, le modèle « full service » peut générer des tensions importantes entre les associés quand les écarts de contribution à la marge entre les différentes pratiques sont trop importants. C’est une particularité du modèle dans la mesure où l’on sait qu’on rassemble sous une même bannière des activités dont les rentabilités et ou valeurs pour le marché sont très différentes.
Les « challenges » des cabinets « full service »
Pour que les avantages du cabinet « full service » l’emportent sur leurs inconvénients, les cabinets « full service » doivent surmonter un certain nombre de challenges.
Tous les cabinets « full service » sont confrontés plus ou moins à ces défis. Certains les maîtrisent mieux que d’autres en parvenant à rester des acteurs crédibles et appréciés du marché. Cela étant, dans la mesure où le modèle « full service » dans un marché ultra compétitif reste très exigeant, certains de ces cabinets peinent dans la réalité à avoir une offre de services conforme à la proposition de valeur attendue.
Les défis les plus importants sont :
L’homogénéité des expertises et des talents
La difficulté la plus importante à laquelle les cabinets « full service » sont confrontés, c’est de parvenir à la meilleure homogénéité de service / réputation possible entre les expertises qu’ils offrent au marché.
Trop souvent, les différences de positionnement existant entre les expertises font que le modèle dans sa pratique ne marche pas ou en d’autres termes que les clients utilisent partiellement le cabinet, comprenant que le niveau qu’il pourrait attendre dans ce type de cabinet n’est pas à la hauteur dans certains pôles de compétences.
Il n’est pas rare ainsi de voir que certains cabinets « full service » sont plus connus pour certaines matières que pour d’autres. Les classements les plus importants du marché des cabinets indépendants français confirment d’ailleurs cette observation.
Cette difficulté à assurer l’homogénéité est aujourd’hui de plus en plus difficile dans la mesure où il existe entre les grands cabinets présents dans le marché un mercato des associés les plus réputés, attirés par des rémunérations plus élevées.
Enfin, le bon fonctionnement du modèle « full service » repose aussi sur leurs talents non seulement habitués à travailler ensemble mais également partageant la même façon d’exercer leur métier. Trop souvent, les différentes manières d’exercer leur métier par les associés crée des tensions et frustrations liées au manque de réactivité et de soutien de leurs autres associés et aussi aux pertes d’opportunités de collaboration.
La collaboration entre associés et entre pratiques
Malheureusement, il n’est pas rare de voir que dans les cabinets d’avocats les plus « full service », chaque pôle d’activité / département / secteur travaille en silo et de manière isolée, freinant les possibilités d’optimisation du travail pluridisciplinaire en équipe, autre atout mis en avant.
Au-delà du système de rémunération qui peut inciter à la collaboration, les cabinets concernés peuvent encourager une culture de la collaboration ; de nombreux moyens permettent d’y parvenir.
La rentabilité du cabinet et de ses associés
Dans la mesure où un cabinet « full service » entend faire vivre sous un même toit des activités du droit des affaires soumises à des contraintes propres et à des modèles économiques différents, faire en sorte que les contributions à la marge de chacune des activités soit acceptable et ne tire pas la profitabilité vers le bas est loin d’être simple.
A cette difficulté s’ajoute le fait que certaines activités même moins rentables sont essentielles pour faire vivre la promesse de pluridisciplinarité.
Pour parvenir à une rentabilité acceptable et ne pas porter préjudice à la capacité d’attractivité de leur organisation, les cabinets selon le segment de marché dans lequel ils opèrent se doivent de suivre régulièrement non seulement la performance collective mais également la performance individuelle de leurs associés.
La taille
L’observation du marché montre que les cabinets les plus « full service » sont généralement ceux les plus importants en termes de chiffre d’affaires et d’effectifs. La taille de leurs équipes dans les domaines où ils interviennent est une condition importante de leur crédibilité. Augmenter et maintenir cette taille dans un marché très compétitif sont des challenges importants. Pour y répondre, les cabinets doivent travailler leur attractivité et utiliser les différents leviers à leur disposition et notamment la croissance externe.
La clarté de leur positionnement et de leurs offres de services
Dans un marché où les clients mieux informés recherchent les acteurs les mieux adaptés à leurs besoins, les cabinets « full service » peinent à caractériser leurs offres de services et à trouver une présentation suffisamment équilibrée entre l’étendue de leurs pratiques et la mise en avant de leurs spécialisations.
Leurs scénarios d’évolution possibles
Le management et le développement d’un cabinet d’avocats « full service » peuvent s’avérer complexes. La difficulté à démontrer leur proposition de valeur pourtant toujours aussi pertinente nécessite dans le contexte d’un marché à intensité concurrentielle forte de trouver les pistes d’améliorations possibles de leur modèle.
A travers ces pistes, l’objectif pour les cabinets d’avocats « full service » est de créer toujours plus de valeur pour leurs clients et parties prenantes. Certaines pistes ont des implications stratégiques importantes.
Ces pistes plus stratégiques visent à mieux valoriser le modèle tout en renforçant leur présence dans le marché et leur attractivité.
- Le renforcement des pôles stratégiques et profitables
Sans minimiser l’importance de toutes les pratiques dans un modèle « full service », il est incontestable que certaines pratiques sont davantage rentables dans la durée et plus porteuses de développement pour l’ensemble des activités d’un cabinet « full service ».
Généralement, c’est le cas des activités dîtes transactionnelles qui permettent d’irriguer dans leurs besoins de nombreuses pratiques et de générer un montant d’honoraire très significatif.
- La mise en avant d’une ou plusieurs spécialisations différenciantes tout en restant généraliste
Une position de leader dans une ou plusieurs niches ou domaines du droit des affaires émergent permet d’afficher dans l’offre pluridisciplinaire des marqueurs distinctifs et de créer un effet halo sur l’ensemble des activités tout en valorisant l’image du cabinet.
- La mise en avant d’une matrice sectorielle combinée à une organisation en groupe de pratiques
Cette approche hybride que certains cabinets ont suivie permet de mieux caractériser leur offre et d’être plus proche des clients des secteurs mis en avant et développés.
- Le renforcement de sa taille par la croissance externe
Clairement, les cabinets les plus importants bénéficient souvent d’une forte reconnaissance de marque, leur permettant d’attirer à la fois des clients prestigieux et des talents de haut niveau. Pour augmenter sa taille, la solution la plus rapide est d’identifier les cabinets d’avocats complémentaires en termes de pratiques, de clientèle ou d’absorber des cabinets spécialisés pour renforcer la crédibilité de ses expertises.
L’autre avantage non négligeable qui en résulte est lié aux économies d’échelles permises par ce type de rapprochement.
Les autres pistes entraînent peut-être moins de bouleversements mais nécessitent, néanmoins, un accompagnement au changement important.
- Le client au centre du modèle
La pertinence d’un modèle « full service » repose bien sûr sur la capacité des cabinets à offrir à leurs clients un continuum de services avec une qualité irréprochable mais également sur leur capacité à répondre à leurs besoins.
Pour ce faire, leur organisation peut être pensée davantage autour des problématiques clients avec des associés à même de travailler en mode projet pour résoudre les grands problèmes de leurs clients.
Trop souvent, les structures actuelles organisées en silos ne permettent pas cette approche.
Être plus « client centric » tout en améliorant la collaboration entre avocats nécessite des changements importants dans l’organisation des cabinets concernant notamment :
- la place du client et sa gouvernance,
- la compréhension des attentes clients,
- la collaboration entre les pratiques,
- la communication interne client,
- la formation des avocats…
- Se concentrer sur la valeur ajoutée
Dans chaque domaine de pratique offert à leurs clients, il y a des services plus ou moins sophistiqués. Les services standards sont de plus en plus concurrencés ou seront mis à mal par l’intelligence artificielle.
C’est pourquoi, en pratique, de nombreux cabinets « full service » ont déjà adopté une approche plus sélective en se concentrant dans certaines pratiques sur les domaines à fort potentiel et plus rentables pour maintenir une profitabilité globale raisonnable.
Toutes ces stratégies d’évolution du modèle nécessitent d’être clairement analysées avec leurs avantages et inconvénients. Au-delà, elles nécessitent un accompagnement au changement, une forte adhésion des associés et une exécution soutenue par une communication de qualité.
En guise de synthèse : leur avenir ?
Dans le contexte d’un marché en transformation avec des pressions concurrentielles de plus en plus fortes, le modèle « full service », conserve de nombreux atouts avec une proposition de valeur très pertinente pour répondre aux besoins du marché.
Leur avenir est loin d’être sombre mais dans la mesure où la proposition de valeur n’a que d’intérêt si la promesse est tenue à l’égard des clients, les cabinets d’avocats « full service » doivent se donner les moyens d’assurer leur pertinence pour le ou les segments de marché dans lesquels ils veulent opérer.